« Avec Jo, Zette et Jocko, Hergé se montre animé d’une fantaisie plus débridée que dans Tintin »
En 1935, Hergé est chargé d’écrire une série pour le magazine Coeurs vaillants retraçant les aventures d’une famille française. Le créateur de Tintin imagine Jo, Zette et Jocko, deux enfants, leurs parents et le singe Jocko. Ils vivront cinq aventures réunies aujourd’hui en un seul tome, remis au goût du jour. Casterman / Hergé / Tintinimaginatio 2023
LÀ CAS BD – Casterman réédite pour la première fois en un seul album les cinq aventures de ces personnages créés par le maître de la « ligne claire ». Benoît Mouchart décrypte la modernité intemporelle de ces histoires réaménagées.
Tonnerre de Brest ! Cette intégrale de Jo, Zette et Jocko fonctionne un peu comme tenir un Tintin inédit entre les mains. Depuis une dizaine d’années, les aventures de cette famille de héros, créée en 1936 par Hergé (qui a forgé son nom d’artiste à partir des initiales de son vrai nom, Georges Remi), n’avaient plus bénéficié d’un aussi beau rééclairage. C’est chose faite avec cet album proposant la série complète, restaurée tant dans ses couleurs que dans le soin apporté à la ligne d’Hergé.
A l’origine la série Jo, Zette et Jocko évolue en marge des aventures de Tintin. « C’est la première fois que les cinq aventures sont ainsi réuniesprécise Benoît Mouchart, spécialiste de Tintin et directeur éditorial chez Casterman. «C’est aussi la seule série française d’Hergé. Quel est ce mystère ? Cela tient simplement au fait que depuis 1930, les éditions Fleurus publient Tintin dans Cœurs vaillants. Fin 1935, Hergé reçoit la visite des abbés Courtois et Pihan. Ils reprochent au journaliste à la houppette de ne pas avoir de parents. Ils demandent à Hergé de concevoir une série familiale. Hergé remplit cette commande en imaginant « Jo, Zette et Jocko ». Jo, le petit garçon, porte le diminutif de Georges, le vrai prénom d’Hergé. Zette porte également le diminutif de la mère d’Hergé, Elizabeth. Enfin, le singe Jocko était la peluche préférée de Germaine, la femme d’Hergé.»
Le 19 janvier 1936, paraît dans Coeurs vaillants Le rayon du mystère (qui deviendra le diptyque Le Manitoba ne répond plus Et L’éruption du Karamako). suivra Le testament de Mr Pump publié en deux parties, puis La Vallée des Cobras. Cette magnifique série d’Hergé, -à redécouvrir d’urgence- a le charme entêtant des oeuvres portées par le grand vent du roman populaire.
En relisant les cinq épisodes de Jo, Zette et JockoJe me suis rendu compte que cette série avait une fantaisie plus débridée que dans Tintin
Benoît Mouchart
Savant fou, robot incontrôlable, repaire sous-marin, char amphibie, éruption volcanique sur une île perdue, raid supersonique Paris-New York, aventures exotiques au pays des Maharadjahs, tous les éléments narratifs empruntent à l’aventure avec un « A » majuscule, en la tradition des romans de Jules Verne.
Frère et sœur, Jo apparaît toujours vêtu d’un polo rouge et d’un bermuda noir. Zette porte une robe bleue sur un chemisier blanc, ses cheveux noirs attachés de chaque côté avec un ruban rouge. Fils et fille de la famille Legrand, de père ingénieur, Jo et Zette sont accompagnés d’un chimpanzé apprivoisé, Jocko, intelligent et débrouillard qui monologue parfois comme Milou.
« En relisant d’une traite les cinq épisodes de « Jo, Zette et Jocko », confie Benoît Mouchart, Je me suis rendu compte que cette série avait une fantaisie plus débridée que dans Tintin. Jo et Zette sont toujours kidnappés par des méchants, les parents sont constamment en deuil, mais cela permet aussi à Hergé de réaliser des expériences visuelles plus audacieuses. Il s’essaie aux effets de perspective avec des escaliers, il s’autorise des profondeurs de champ, notamment dans la base souterraine du « Le Manitoba ne répond plus »dont Michel Greg s’inspirera plus tard pour le film d’animation « Tintin et le lac aux requins ».»
Benoît Mouchart : « Les aventures de Jo, Zette et Jocko permettent à Hergé de réaliser des expérimentations visuelles plus audacieuses. Il s’essaie aux effets de perspective avec des escaliers, il s’autorise des profondeurs de champs… » Casterman / Hergé / Tintinimaginatio 2023
Il est clair que les intrigues imaginées par Hergé pour ses albums relèvent bien plus d’un roman à la Rouletabille, de Jules Verne ou encore du roman populaire. Les cinq sous de Lavarède par Paul d’Ivoi et Henri Chabrillat.
LA BOÎTE des bandes dessinées
Dans Le testament de M. Pumpsous les traits d’Hergé, l’extravagant milliardaire fou de vitesse Mr. Pump évoque le célèbre Howard Hughes, magnat de l’aviation et hommes d’affaires légendaires. © Casterman /Hergé/Tintinimaginatio 2023
Parmi les cinq épisodes produits entre 1936 et 1957, où l’on croise de nombreuses références à la mode, Benoît Mouchart ne cache pas sa passion inconditionnelle pour Le Testament de M.Pump.
« Dès le début de cette aventure virevoltante, décrypte l’auteur de «A l’ombre de la ligne claire”, nous rencontrons un milliardaire extravagant, fou de vitesse nommé Mr Pump. Ce dernier évoque bien sûr le célèbre Howard Hughes, magnat de l’aviation et hommes d’affaires légendaires. Mais si l’on prend du recul, on s’aperçoit qu’Hergé pratique une satire mordante du taylorisme américain, ce fameux « Time is money » sous forme de capitalisme frénétique… Et enfin ce Mr. Pump qui rappelle davantage Elon Musk ou Jeff Bezos !»
Ce que l’on remarque surtout, c’est l’étonnante modernité d’Hergé. « Avec cette intégrale, c’est comme si on découvrait une pièce manquante du grand puzzle de l’œuvre d’Hergé, conclut Benoît Mouchart. Les aventures de Jo, Zette et Jocko sont à la fois plus naïves, plus mélodramatiques, mais aussi plus époustouflantes et libres. Ils n’ont pas pris une ride ! »
Jo, Zette et Jocko : intégrale, par Hergé, 272 p., éditions Casterman. 30 €.
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