Ces Français adeptes de la « chasse au trésor » en déstockage d’enseignes

TÉMOIGNAGES – Alors que les budgets sont particulièrement serrés en raison de l’inflation, ces magasins attirent une clientèle de plus en plus nombreuse. Qui cherche à faire des économies, mais aussi à s’offrir de petits plaisirs.
«Il rend l’inaccessible, accessible», s’enthousiasme Ana, 37 ans. Depuis cinq ans, elle visite régulièrement les déstockeurs : «j’ai moins honte qu’avant« , reconnaît-elle, «Et les économies réalisées sont vraiment avantageuses.” Déco, textile, bijoux ou encore alimentation… ces magasins sont de véritables cavernes d’Alibaba. Si les rayons sont régulièrement en désordre, les prix sont en effet très intéressants. Avec une inflation qui ne cesse de grimper, de plus en plus de Français poussent la porte de ces magasins, qui ont réussi à dépoussiérer leur image. Parmi les enseignes en vogue : le néerlandais Action qui compte aujourd’hui plus de 700 magasins en France, Noz, anciennement Le Soldeur, qui en compte plus de 320 et Stokomani qui en compte 130.
Pour ses courses alimentaires, Ana se rend au magasin Destock’halles à Monteaux, dans le Vaucluse. «En février, j’ai payé 250 euros la nourriture pour un mois, pour quatre personnes, avec de la viande, du fromage, de la crème et quelques légumes», précise-t-elle, «les prix sont imbattables« . Pour faire baisser l’addition, la maman épluche les promotions et n’hésite pas à acheter des produits à la limite de leur date de péremption, qu’elle congèle pour consommer plus tard. Elle complète ses courses par quelques achats à la supérette de son village, pour un montant de 100 à 150 euros par mois.
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« Ça change nos habitudes »
Si les prix sont attractifs, Ana reconnaît toutefois qu’il faut composer avec l’offre proposée en magasin :On achète ce qu’il y a, ça change nos habitudes. Quand on n’a pas les moyens de manger comme on veut, peu importe qu’il y ait du poulet à la place du porc, on s’en fiche parce que c’est toujours de la viande.La trentenaire travaille dans l’artisanat et son compagnon est indépendant. Ensemble, ils gagnent 2 500 euros nets mensuels, mais «n’ont plus le droit d’aller à l’épicerie sociale« . Il faut donc composer avec les moyens du bord.
Au-delà de ces économies nécessaires sur le budget alimentation, Ana se rend régulièrement au Noz, à Beaune pour se faire plaisir. Elle y achète principalement des cadeaux et du matériel artistique, et se laisse tenter par quelques «favoris» s’ils ne dépassent pas 20 euros. Cependant, il a du mal à racheter les actions des entreprises classées en faillite, comme Camaïeu ou Made.com, dont les produits ont été récemment rachetés par Noz. «J’ai l’impression de profiter du malheur des autres», souffle-t-elle.
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« Le pire comme le meilleur »
Chaque semaine, les déstockeurs proposent de nouvelles références, au gré de leurs arrivages. Sur Facebook, des dizaines de groupes identifient au quotidien les produits les plus intéressants. Il y en a pour tous les goûts et pour tous les budgets. «Noz est le magasin des surprises, les pires comme les meilleures», raconte Charlotte, 59 ans, qui travaille avec cette marque depuis trente ans. Même si elle note les différences notoires de qualité entre les produits, Noz lui est pourtant indispensable : «Ce n’est pas que du superflu, c’est le seul moyen pour moi de pouvoir m’habiller et me chausser dans le cadre de mon budget plus que limité.« Chaque mois, cette accompagnatrice pour étudiants en situation de handicap touche 903 euros, à temps partiel.
«Avec l’inflation galopante que l’on connaît, je ne crains qu’une chose : c’est la fermeture de mon magasin préféré. Ce serait un vrai problème pour moi« , elle dit. Chez les déstockeurs, les prix sont au moins 30% moins chers par rapport aux supermarchés. Certains produits défient même toute concurrence, comme un sac de Saint-Jacques surgelées de 1,5 kg pour 10 euros chez Noz, contre 14 euros les 500 grammes au supermarché traditionnel. Pour Charlotte,n’ayez pas peur de la qualité – qui est là – et osez acheter de la nourriture« . D’après elle, «il faut aussi avoir le temps de chiner et de écumer les magasins« .
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Toutes les classes sociales
Ce «chasse au trésor» attire plus d’un consommateur. «Les magasins ressemblent à des marchés aux puces et j’adore y aller à la recherche des meilleurs articles.», note Odile, 62 ans, qui espère retrouver »surprend« . Contrairement à Ana et Charlotte, cette directrice des ressources humaines n’a pas de budget limité, avec un salaire de plus de 5 500 euros par mois. Elle achète donc peu de nourriture, et est plus orientée vers les vêtements »de marques anglaises ou italiennes», «cosmétiques et objets de décoration« .
Les déstockeurs sont ainsi prisés des classes populaires, moyennes et supérieures, et ne sont donc pas près de se remplir. «Entre février 2022 et janvier 2023, au moins six Français sur dix se sont rendus au moins une fois dans ces magasins», note Emily Mayer, directrice Business Insights à l’IRI «et les ventes en volume ont bondi de 21 % au cours de cette période« . Selon l’expert, si les autres consommateurs ne fréquentent pas les magasins de déstockage, ce n’est pas par manque d’intérêt mais parce qu’un «le magasin est trop loin de chez moi« .
C’est aussi pour cette raison qu’Action a initié un plan national d’extension pour multiplier ses infrastructures sur le territoire. En 2021, la marque avait réalisé un chiffre d’affaires de près de 3 milliards d’euros, tous pays confondus, contre 550 millions d’euros en 2021 pour Noz et Stokomani.
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