Dans les larges rues de Détroit, dans le Michigan, l’Amérique se teinte de Moyen-Orient. Ici, les habitants peuvent se glisser sur des banquettes en similicuir et déguster à chaque coin de rue des spécialités libanaises ou irakiennes. Parfois, les clients parcourent Les nouvelles arabes américaines, qui commente l’actualité américaine en anglais et en arabe. Disponible gratuitement devant les restaurants orientaux, le journal donne le ton dans sa couverture de l’édition de la semaine du 14 septembre. « L’intensité de la course à la Maison Blanche renforce la voix électorale des Arabes et des musulmans du Michigan », écrit-il. le journal, né il y a quarante ans.
Car dans cet État frontalier du Canada, la guerre entre le Hamas et Israël, qui refait désormais surface au Liban, est un enjeu politique pressant. Dans un pays où vivent 350 000 Arabes-Américains, les manifestations pro-palestiniennes se sont multipliées, les manifestants critiquant Joe Biden et son administration pour leur soutien au régime de Benjamin Netanyahu. Une épine dans le pied de Kamala Harris, qui doit composer avec le bilan du président américain tout en arrachant le plus de voix possible.
« Quand l’écart est petit, tout peut compter »
« Je pense que le vote de cette communauté pourrait être décisif. Le Michigan est un swing state et on ne sait pas vraiment de quel côté penchera la balance pour cette élection», analyse Marie Mallet, spécialiste des groupes minoritaires aux Etats-Unis. En 2016, Donald Trump avait réussi à arracher aux démocrates cet État bordé par un lac, avant de subir un revers électoral quatre ans plus tard au profit de son adversaire, Joe Biden. « Les minorités sont des populations dont le vote varie, et nous savons que nous gagnons une élection américaine contre les indécis. Quand l’écart est faible, tout peut compter», souligne Angéline Escafré-Dublet, spécialiste des questions d’immigration aux Etats-Unis.
Pour autant, Kamala Harris ne repart pas victorieuse dans le Michigan. Il y a quatre ans, Joe Biden ne l’avait emporté que par 150 000 voix. Les 350 000 voix de la communauté arabo-américaine du Michigan pourraient donc faire la différence. « C’est ici qu’est née l’association « abandonner Biden », devenue « abandonner Harris », rappelle Blandine Chelini-Pont, professeur des universités à Aix Marseille. Pour le spécialiste des religions aux Etats-Unis, ces groupes sont “très médiatisés car ils demandent au gouvernement d’obtenir un cessez-le-feu dans la bande de Gaza et la fin des opérations militaires” qui ont causé la mort de plus de 41 000 personnes. dans la bande de terre palestinienne, selon le ministère de la Santé du Hamas.
« Sacrifier la démocratie américaine »
À deux pas de Détroit, la ville de Dearborn bruisse de colère depuis un an. Dans le berceau de la plus grande mosquée des États-Unis, près de la moitié des habitants sont musulmans. Or, la question de Gaza est « plus géographique que religieuse », assure Angéline Escafré-Dublet. Une myriade d’Américains du Moyen-Orient partagent la même indignation sans pour autant partager le même dieu. « Globalement, les populations arabes ne sont pas pro-israéliennes, quelle que soit leur confession », explique Blandine Chelini-Pont. Le maire de la ville de plus de 100 000 habitants, le démocrate Abdullah Hammoud, est l’un des symboles du désenchantement de cette communauté à l’égard de l’administration Biden.
Auparavant soutien majeur du président, Abdullah Hammoud appelle désormais à s’abstenir lors du vote présidentiel pour contester le soutien de Washington à Tel-Aviv. En novembre 2023, l’édile est allé jusqu’à déclarer que « si sauver la démocratie signifie soutenir le terroriste Netanyahu, alors cela vaut la peine de sacrifier la démocratie américaine ». Selon l’Institut arabo-américain, le soutien de cette minorité au Parti démocrate est passé de 59 % en 2020 à seulement 17 % en 2023. Preuve de l’ampleur de la contestation, lors des primaires démocrates du Michigan, 100 000 personnes ont voté blanc, cinq fois. plus qu’en 2020.
Ouvriers du berceau de l’automobile
Malgré ce signal inquiétant pour Kamala Harris, les Arabo-Américains restent minoritaires (environ 1 % de la population américaine, selon le recensement de 2020), même au sein de l’État du Michigan. Si l’on compare le chiffre de 350 000 au nombre de personnes inscrites sur les listes électorales en 2020 (environ 7,5 millions), cette communauté ne dépasse pas 5% (4,65%) de la masse électorale. « C’est un électorat qui s’est beaucoup fait entendre, mais la caisse de résonance était plus importante que son poids réel », glisse Blandine Chelini-Pont. « Les élections sont rarement gagnées sur les minorités », estime Angéline Escafré-Dublet. Il faut se méfier de l’arbre qui cache la forêt. » Une forêt d’usines, notamment d’usines automobiles.
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Parce que l’État des Grands Lacs est le cœur de l’industrie automobile américaine. General Motors, Ford, Chrysler… Les grands noms de la sacro-sainte automobile américaine sont nés et ont prospéré dans la région de Détroit. Cependant, la désindustrialisation a entraîné dans son sillage la pauvreté. À l’ombre des usines qui ont fait prospérer la région, c’est désormais un exode qui vide la ville de ses habitants, année après année. En 2013, la ville a été la première à déclarer faillite dans le pays. « C’est un Etat où se concentre beaucoup de pauvreté, il faudra que les candidats parlent de relance de l’économie pour convaincre ici », prévient Marie Mallet.
« D’un point de vue stratégique, il ne faut pas oublier qu’une minorité apporte une minorité de voix. Kamala Harris doit réussir à s’adresser aux Blancs du Michigan dans un Etat traditionnellement très mobilisé par le biais des syndicats. Le tour de force de Donald Trump en 2016, c’était justement de convaincre ces milieux populaires », rappelle Angéline Escafré-Dublet. Le candidat du Parti démocrate devra donc trouver un écusson pour calmer la colère d’une communauté qui pourrait faire basculer un État dans les bras de Donald Trump, et donc 16 grands électeurs, sans oublier le cœur du Michigan, des col-bleus entourés de lacs bleus. . Le candidat démocrate semble l’avoir compris. Le 19 septembre dernier, elle organisait un événement à Détroit, au cœur du Michigan, animé par la célèbre animatrice Oprah Winfrey. De nombreuses personnalités hollywoodiennes ont participé à ce talk-show de campagne. Reste à savoir si Meryl Streep, Julia Robert ou Jennifer Lopez suffiront à faire la différence…