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la plateforme « Save You » s’empare du cauchemar des expatriés français

A l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, France 24 s’est intéressée à une plateforme consacrée aux violences subies par les Françaises vivant hors de France. Laissant la victime seule entre les mains de son agresseur, l’expatriation est un facteur aggravant de la détresse. Lancé en octobre, « Save You » a permis à plus d’une centaine de personnes de briser le silence. Ils racontent une vie brisée par la violence.

«Je ne t’ai pas frappé assez fort la dernière fois. J’ai l’impression que tu en veux plus », hurle un homme massif. Le colosse turc finit par claquer la porte. Nour (son nom a été changé) est gagné par l’angoisse. Cette semaine-là, à Mersin, dans le sud de la Turquie où elle vit séquestrée depuis plus d’un an, la terre a tremblé deux fois. Quelques jours plus tard, la vie de Nour vacille. « Je dois absolument sortir de la maison ce soir, il est armé, j’ai l’impression que je vais mourir quand il revient », chuchote-t-elle au téléphone à Caroline.

Présidente de l’association Cœurs de guerrières, Caroline est également coordinatrice de la plateforme Save You. Une voix apaisante, que Nour a pu joindre via un numéro de téléphone, et que les Français expatriés victimes de violences peuvent appeler gratuitement, où qu’ils soient dans le monde, 24h/24 et 7j/7. A l’autre bout du fil, des gens tentent de résoudre les situations les plus complexes, voire « d’éviter le pire », comme ce soir-là, avec Nour.

Première du genre, lancée en octobre 2022, Save You est une initiative de la Sorority Foundation, une association française, mère de l’application « The Sorority », à laquelle se connectent des femmes de tous les pays de la planète. Dédiée aux Français expatriés et à leurs enfants, la plateforme Save You est à l’écoute des femmes (et certains hommes aussi) victimes de diverses formes de violence. En tête de liste, les violences psychologiques (43% des cas), suivies des violences physiques (19%).

Piégé

Ces deux poisons avaient conjointement contaminé la vie d’Alice (son nom a été changé), le jour où, en larmes, elle appelle Caroline. Il y a un peu plus d’un an, Alice a pris la décision de quitter la France pour Manchester, avec son compagnon, qui était anglais. En septembre dernier, ils ont donné naissance à une petite fille. Mais aujourd’hui, l’homme qu’elle aimait lui a interdit d’aimer sa propre fille : dès les premiers mois après sa naissance, la Britannique a commencé à arracher l’enfant des bras de sa mère. Aux coups de pied du Britannique se mêlent menaces et insultes : « Laisse le petit ici et rentre en France, on n’a plus besoin de toi. Sorcière, vas-y », a déclaré Alice à France 24 par téléphone.

Au chômage, handicapée par une langue qu’elle parle mal, seule dans un microcosme appartenant à Monsieur, ultra-dépendante économiquement et juridiquement, et séparée de sa famille par des milliers de kilomètres : tels sont les leviers du piège dans lequel Alice est paralysée.

Ce piège correspond point pour point à celui qui retenait Nour prisonnière. Et à celle des 124 personnes suivies par Save You, abonde Caroline. Certaines des femmes avec lesquelles elle est en contact sont séquestrées depuis quinze ans. Leur situation est aggravée dans les cas où l’expatriation se fait contre leur consentement et en rupture avec la famille, poursuit l’activiste : la transformation violente d’un homme pour qui elles ont tout quitté plonge les victimes dans une solitude affective sans fin.

Déclencher

Cette « explosion » de brutalité, rien ne pouvait la laisser présager chez son ex-compagnon, assure Alice. Jusqu’aux dernières semaines de la grossesse, le père de son enfant avait fait preuve d’un soutien irréprochable. Comment la violence lui est-elle parvenue, au point que la police britannique est intervenue ? « Je ne comprends toujours pas », soupire le quadragénaire.

Fréquentes, soudaines, ces « métamorphoses » brutales ont souvent pour déclencheur l’accouchement, explique Caroline. Comme si, aux yeux du père, la mère s’était acquise à lui selon la logique suivante : « de toute façon, tu ne pourras jamais partir puisqu’il y a l’enfant. Et si tu pars, je le garderai ». « . C’est essentiellement ce que son homme a martelé à Alice, insistant sur le fait qu’elle n’avait aucun droit en Angleterre. Ces mots trouvent un écho amer dans la réalité. Car, si malgré son combat, Alice n’obtient pas de passeport français pour son bébé, elle ne pourra jamais quitter légalement le Royaume-Uni avec son enfant.

Celui élevé par Nour lors de sa longue séquestration en Turquie est issu d’un précédent mariage. Secourue par des gendarmes turcs alertés par Save You, la jeune femme a échappé in extremis à son ancien compagnon, arrivé de Mersin à l’aéroport d’Adana. Elle y passera de nouvelles heures d’angoisse : le chaos semé par le tremblement de terre avait eu raison de tous les vols vers Paris. Sans argent, après de multiples escales, Nour atterrit finalement à l’aéroport de Roissy. Où elle s’était jadis embarquée pour un week-end, dont le destin s’est transformé en dix-huit mois de captivité. Épuisée, considérablement amaigrie, démunie, Nour a tout perdu. « Il m’a privé de toute confiance en moi. » La jeune femme fond en larmes.

Sur plus d’un million d’expatriés, combien vivent actuellement cet enfer, sans même pouvoir espérer s’en réveiller ? Cet angle mort de la violence sexiste échappe au radar de toute statistique officielle. Submergée par le flot d’appels à l’aide, Caroline est gagnée par l’indignation. Selon elle, les autorités françaises devraient également saisir ce fléau de front.

La contrainte des lois locales

Le Quai d’Orsay dispose d’une cellule dédiée, mais elle souffre d’un manque cruel d’effectifs, regrette Amélia Lakrafi, adjointe aux Français de l’étranger (10e circonscription électorale). « Pour répondre efficacement à un problème, il faut déjà en avoir pleinement conscience », analyse ce Franco-Marocain ». Pourtant, « en métropole, l’imaginaire collectif perçoit les Français de l’étranger aussi aisés, jouissant d’excellentes situations, ce qui être très heureux ». Au-delà de ce fantasme exotique, autre écueil : la difficulté d’exporter les politiques publiques françaises vers d’autres latitudes. « Nos représentations nationales ne font pas ce qu’elles veulent. Et nous restons tous extrêmement contraints par les lois locales », poursuit le député (LREM).

Amélia Lakrafi, qui alerte depuis des années les décideurs publics sur cet angle mort des violences sexistes, a été conquise par la plateforme dès ses débuts. Save You est « vraiment l’outil qu’on attendait », dit-elle fièrement. D’autant que les porteurs de projets associatifs comme ceux de The Sorority Foundation disposent, selon elle, d’une plus grande liberté que celle de l’administration, plombée par les procédures qui lui sont propres. « Cependant, Save You ne montera en puissance qu’en travaillant de concert avec le réseau institutionnel français à l’étranger, le Quai d’Orsay, et le ministère de l’Intérieur », nuance le député.

Les prémisses de cette symbiose semblent déjà avoir pris forme. « Le Quai d’Orsay nous permet souvent d’aller plus vite, heureusement qu’ils sont avec nous », se réjouit Priscillia Routier-Trillard, fondatrice de The Sorority Foundation. En quelques mois, des sites tels que le ministère des Affaires étrangères ont publié un lien vers la plateforme. Une décision salutaire pour des femmes comme Nour ou Alice, qui n’auraient pas entendu parler de Save You sans ces relais officiels.

Sachant que nous ne sommes pas seuls

Alice n’a certainement pas encore brisé le mur d’obstacles juridiques qui la sépare d’une vie paisible. Mais l’efficacité de ses interlocuteurs l’aide à croire en un avenir meilleur. Des barrières qui lui semblaient infranchissables tombent. Alice a ainsi pu s’installer dans un nouveau foyer, dans un lieu qu’elle ne peut divulguer, craignant que son ex-compagnon ne réapparaisse pour lui enlever sa fille.

Depuis son lancement, des avocats, des médecins, des travailleurs sociaux et d’autres professionnels clés ont proposé leurs services à Save You dans différents pays du monde, lui offrant l’une des clés de son succès : un réseau grandissant, auquel la plateforme se connecte de plus en plus. femmes. « Parfois, nous servons simplement de lien vers une solution locale que la victime cherchait désespérément depuis des mois, sans succès », explique le coordinateur de la plateforme.

Mais en écoutant attentivement, Caroline a fait à Alice un don d’ordre immatériel : « Elle m’a écouté. Du trou noir où j’étais, c’est comme si je voyais une sortie », raconte Alice.

Comme Alice et Nour et comme des centaines de milliers de Françaises chaque année, Priscillia Routier-Trillard et Caroline ont également subi les coups d’un homme. Longtemps, ils se sont murés dans cette culpabilité paradoxale. Dans ce silence.

Aujourd’hui, « ce qui me porte, c’est de devenir cette main que j’aurais aimé qu’on me tende », confie Caroline. Nous « sommes des êtres sociaux », poursuit Priscillia. « Savoir que l’on n’est pas seul : rien au monde n’est plus puissant ».

France 24

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