Pas de pilule miracle contre la gueule de bois

Disponible en vente libre au Royaume-Uni depuis juillet dernier, la pilule Myrkl, censée décomposer l’alcool que vous buvez, s’ajoute à la longue liste de produits qui préoccupent les médecins.
Une pilule miracle, vraiment ? C’est la promesse du laboratoire suédois « Myrkl », qui affirme avoir mis au point la première pilule capable d’éliminer efficacement l’alcool de votre corps. L’ingestion de deux comprimés 1 heure avant de commencer à boire de l’alcool provoquerait «l’élimination de 70% de la substance alcoolique directement dans l’intestin», promet le constructeur. Serait-ce le remède à la gueule de bois ? Non ! Alors qu’il est déjà commercialisé au Royaume-Uni depuis juillet, ce produit fait grincer des dents. Mickael Naassila, président de la Société Française d’Alcoologie et professeur d’addictologie à l’université de Picardie Jules Verne, à Amiens, réagit aux méfaits de ce type de produits.
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« Nous ne sommes pas tous égaux face à la hausse de l’alcoolémie »
Lorsque vous buvez de l’alcool, une petite partie est dégradée par des bactéries dans la cavité buccale tandis que le reste est acheminé par le tube digestif : l’alcool passe par l’estomac puis l’intestin grêle, où 80 % se fait absorber. Le foie se charge ensuite de dégrader l’alcool via des processus enzymatiques complexes. Pourtant, au lendemain de soirées bien arrosées, les symptômes d’un excès sont parfois inévitables : maux de tête, nausées, bouche pâteuse… C’est la « gueule de bois ».
Pour y remédier, Myrkl a mis au point un nouveau complément alimentaire qui dégraderait 70% de l’alcool ingéré lors de son passage dans l’intestin avant même qu’il n’atteigne le foie. Mais que vaut vraiment cette pilule ? « Je ne conclurais rien de ce résultat car il faut d’abord savoir que nous ne sommes pas tous égaux face à la hausse du taux d’alcoolémie. D’un individu à l’autre, nous n’absorbons pas l’alcool aussi vite et cet alcool ingéré ne passera pas dans le sang à la même vitesse. Il y a donc de grandes différences individuelles.», explique Mickael Naassila.
Dans l’hypothèse où cette pilule agirait, il est donc fort probable qu’elle n’agirait pas de la même manière en fonction du métabolisme des consommateurs. Le taux d’alcoolémie est en effet conditionné par de multiples facteurs : la vitesse de consommation, la tolérance de la personne à l’alcool, et le fait que l’estomac soit plein ou non. « Si l’estomac est plein, l’alcool passe moins vite dans l’intestin grêle et donc taux d’alcoolémie montera plus lentement. « . Selon le chercheur, il est donc très peu probable que ce produit provoque l’effet annoncé.
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Des participants trop peu nombreux et presque sobres
Concrètement, il a été demandé à la moitié des participants à l’étude de boire de l’alcool après avoir ingéré soit 2 gélules de Myrkl soit un placebo (pilule sans principe actif) de manière randomisée (c’est-à-dire tirée au sort) et en aveugle (les participants ne savaient pas s’ils prenaient la pilule ou le placebo) pendant une semaine. Ensuite, les scientifiques ont mesuré le taux d’alcool (dans le sang) et l’alcool dans l’air expiré des sujets. Avant et après l’absorption, ce dernier devait également réaliser un petit test cognitif.
Cependant, l’un des principaux problèmes de cet essai est que le nombre de participants était beaucoup trop faible. « Il n’y avait que 24 individus qui ont participé et en plus, pour la moitié d’entre eux, les auteurs se sont rendus compte que l’alcool n’était pas détectable dans le sang. », indique Mickael Naassila. En effet, les scientifiques ont fait boire aux hommes et aux femmes recrutés un verre d’alcool contenant 0,3 g d’éthanol par kg de poids corporel. Trop peu pour tester un quelconque effet sur la gueule de bois. « Pour un homme de 80 kg, cela correspond à environ 24 grammes d’éthanol, soit 2,4 verres standards servis au bar, dit le professeur Naassila. Je ne suis même pas sûr qu’avec cette quantité une personne de 80 kg passe à 0,5g/L de sang, ajoute-t-il. Et même si c’est le cas, il n’y a presque aucune chance d’avoir une grave gueule de bois le lendemain.En effet, les tests comportementaux n’ont révélé aucun symptôme lié à un excès d’alcool.
Ces tests consistent à fournir aux participants une feuille de papier sur laquelle figurent les chiffres de 1 à 25 : il leur est demandé de relier les chiffres dans l’ordre sans lever le crayon de la feuille. Pour chaque test, réalisé avant et après consommation d’alcool, les scientifiques mesurent le temps nécessaire au sujet pour réaliser la tâche, ce qui permet d’évaluer une éventuelle altération des capacités psychomotrices. « Ces tests n’étaient pas concluants car il n’y avait pas de décalage horairedit le professeur Naassila. Cela montre que les individus n’étaient manifestement pas assez saouls. En d’autres termes, on nous vend un produit qui prétend avoir un effet de gueule de bois et qui n’a pas du tout été testé pour les symptômes de la gueule de bois. »
Selon le chercheur, pour que les résultats soient concluants, il aurait fallu prendre un plus grand échantillon d’hommes et de femmes, de poids différents, et leur faire consommer plusieurs quantités d’alcool, en augmentant progressivement les doses « . Ensuite, les effets possibles sur la dégradation de l’alcool pourraient être déterminés en évaluant l’absence ou la présence de signes d’ivresse ou de gueule de bois (et leur intensité) chez les sujets ayant reçu des gélules de Myrkl.
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Probiotiques, L-cystéine et vitamine B12
Dans la publication scientifique, les auteurs vantent les composés «Naturelde cette pilule qui contient des probiotiques, un acide aminé appelé L-cystéine et de la vitamine B12. « À première vue, il est rassurant de savoir que nous utilisons des composés naturels tels que les probiotiques et les vitamines », explique le professeur Naassila. Selon lui, les probiotiques utilisés, des bactéries, auraient en effet un intérêt car, en allant se coller dans l’intestin, « on imagine qu’ils sont capables de métaboliser l’alcool avant qu’il n’entre dans la circulation sanguine, ce qui aiderait à faire baisser le taux d’alcoolémie « . La L-cystéine, elle agirait en » emprisonnant l’acétaldéhyde, un composé toxique et cancérigène, produit par la décomposition de l’alcool et contribuant aux effets de la gueule de bois tels que les maux de tête ou les nausées « . Quant aux vitamines, on sait que l’alcool gêne grandement leur passage. » La vitamine B12 est important car il fournit de l’énergie à nos cellules et favorise la production de globules rouges et de myéline, la substance blanche du système nerveux », précise le professeur Naassila. En ajoutant de la vitamine B12, cette pilule pourrait donc agir contre une éventuelle carence vitaminique et éviter les effets cérébraux sur la myéline. Mais aucune recommandation des autorités sanitaires n’existe concernant ces composés pour la dégradation de l’alcool. « On nous fait croire qu’il s’agit d’un savant mélange dont l’effet reste pour le moins peu concluant dans cette étude. », s’indigne Mickael Naassila.
Communication ambiguë
S’il existait des médicaments miraculeux capables de dégrader l’alcool que nous ingérons, ne serait-ce finalement pas une excuse pour ne pas faire attention à sa consommation ? La communication autour de cette « pilule miracle » est ambiguë car elle laisse entendre que l’on peut boire beaucoup d’alcool sans problème. Certains parlent même d’une excuse pour conduire en état d’ébriété ou boire plus le soir. « C’est un message malhonnête qui augmente le risque que les gens se retrouvent avec des taux d’alcoolémie supérieurs aux seuils, voire se mettent en danger. », s’inquiète le chercheur. Rappelons que 30% des accidents mortels sont dus à une consommation excessive d’alcool selon les chiffres du gouvernement. D’ailleurs, Mickael Naassila ajoute que même si ce genre de produit était efficace, « il ne préviendrait ni l’agression de la muqueuse gastrique ni ne protégerait contre d’autres effets indésirables de l’alcool, comme l’hypoglycémie ou la déshydratation « .
« Les médicaments contre la gueule de bois font parler d’eux depuis deux décennies et leur utilisation dans les essais cliniques a parfois même entraîné des décès. Toutes les méta-analyses ont conclu que ces produits contenant de l’alcool dans le sang sont inefficaces.
Boissons détox à base de jus de poire coréen, pastilles réhydratantes et sérums en tous genres…” Les anti-gueule de bois font parler d’eux depuis deux décennies et leur utilisation dans les essais cliniques a parfois même entraîné des décès. Toutes les méta-analyses sur le sujet ont conclu à l’inefficacité de ces produits contre l’alcoolisme.», prévient Mickael Naassila. Leur utilisation abusive véhicule de fausses croyances et inquiète notamment car elles font l’objet de stratégies marketing visant leur commercialisation de masse, par exemple au moment des vacances. « Cependant, dans les situations où il y a des risques d’excès, nous devrions plutôt nous impliquer dans l’identification et la prévention des comportements excessifs qui mettent en danger non seulement les consommateurs eux-mêmes mais aussi le reste de la population. »
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« La meilleure prévention reste l’abstinence »
Il n’existe donc aucun produit fiable pour prévenir les effets désagréables du lendemain d’une crise de boulimie, qu’il soit vendu en pharmacie ou sur internet. « Des études montrent que chaque année il y a des publications frauduleuses qui n’ont qu’un intérêt marketing », explique le professeur Naassila. Les seules mesures à prendre sont de limiter sa consommation, de boire lentement, d’avoir le ventre plein et surtout de rester hydraté. Le chercheur ajoute qu’il faut aussi faire attention au paracétamol » car après une grande consommation d’alcool, le foie est occupé à décomposer l’alcool et ne décomposera pas le paracétamol, augmentant ainsi le risque d’intoxication« . Il est clair que la gueule de bois est également évitable et que « la meilleure prévention reste l’abstinence « .
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