Un champignon pourrait contenir une molécule efficace contre la mucoviscidose

Des chercheurs français ont découvert une molécule capable de corriger certaines mutations impliquées dans la mucoviscidose, même dans les formes de la maladie résistantes aux traitements existants.
Aujourd’hui, près de 7 500 personnes sont concernées par la mucoviscidose, l’une des maladies rares les plus répandues en France et dont l’espérance de vie est comprise entre 40 et 50 ans. Cette maladie est causée par une mutation dans un gène appelé CFTR, codant pour une protéine du même nom. Le dysfonctionnement de cette protéine est responsable d’un épaississement du mucus, notamment au niveau des poumons, mais aussi au niveau du pancréas et du foie. La maladie entraîne des difficultés respiratoires et digestives importantes.
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Si 80 à 85% des patients peuvent actuellement bénéficier de traitements, 15 à 20 % de patients non éligibles. Pour cause, au moins la moitié de ces patients (10%) sont porteurs d’une mutation particulière qui bloque complètement la production de la protéine CFTR. Un enjeu majeur pour les scientifiques est donc de trouver un médicament capable de corriger les effets de ces mutations et ainsi offrir à ces personnes de précieux mois de vie supplémentaires. Après plusieurs années de recherche, l’équipe de Fabrice Lejeune, chercheur à l’Inserm, a découvert une molécule qui pourrait présenter un intérêt majeur pour ces patients dans l’impasse thérapeutique. « Des résultats encourageants », juge Pierre-Régis Burgel, pneumologue à l’hôpital Cochin à Paris (AP-HP).
Plus que 2100 mutations du gène CFTR ont été identifiés et associés à la mucoviscidose. La plus fréquente, la mutation delta-F508, provoque une malformation et donc un dysfonctionnement de la protéine CFTR, un canal de transport d’ions qui assure la fluidification du mucus. « Les nouveaux traitements disponibles, comme Kaftrio, permettent de corriger le mauvais repliement de la molécule et de réactiver sa fonction, réduisant ainsi les symptômes », précise Pierre-Régis Burgel. Mais 10% des patients ne répondent à aucun des traitements car ils ne produisent pas du tout la protéine CFTR. « Ces patients sont porteurs de deux mutations non-sens dans chacune des deux copies du gène CFTR, l’une transmise par le père, l’autre par la mère. Ces mutations empêchent la production de la protéine correspondante », poursuit le médecin.
Une seule molécule retenue parmi 20 000 testées
Face au défi de trouver un traitement, l’équipe de Fabrice Lejeune a peut-être trouvé une molécule capable de corriger efficacement les mutations non-sens. Il a fallu plusieurs années aux chercheurs pour isoler cette fameuse molécule parmi les 20 000 extraits conservés à la National Chemical Library. « Nous avons testé ces 20 000 extraits un par un. Un seul d’entre eux, qui provenait du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) de Paris, contenait une molécule ayant une activité de correction efficace des mutations non-sens. Dès 2012, une collaboration avec le MNHN a débuté pour identifier le principe actif de cet extrait. », raconte Fabrice Lejeune.
Si de nombreuses équipes ont déjà amené des molécules aux premières phases d’essais cliniques, elles ont pour l’instant vu leurs espoirs déçus à cause d’effets jugés trop modestes, ne permettant pas aux essais de se poursuivre. Ce fut notamment le cas pour l’avalure et l’ELX-02. La molécule identifiée par l’équipe de Fabrice Lejeune était peut-être sous nos yeux depuis longtemps, quelque part dans nos assiettes… En effet, cette molécule appelée DAP (pour 2,6 diaminopurine) a été isolée d’un champignon comestible, le Clitocybe inversé (Lepista flaccida).
Une fois la molécule identifiée, les scientifiques se sont précipités pour tester ses effets dans quatre modèles expérimentaux de mucoviscidose. Parmi ces modèles figuraient des souris atteintes de la maladie, développées en laboratoire ; les lignées cellulaires porteuses de mutations non-sens ; cellules de patients obtenues par brossage nasal et organoïdes dérivés de patients imitant un environnement intestinal. L’utilisation de ces modèles est une première et « a permis d’étudier les bénéfices thérapeutiques possibles de la DAP en reproduisant les différentes conditions les plus proches de ce qui se passe dans le corps des patients », souligne Brice Marcet, chercheur CNRS à l’IPMC.
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Une voie thérapeutique prometteuse
Les résultats suggèrent que la DAP corrige efficacement la mutation non-sens, permet de restaurer l’expression du gène muté dans les modèles testés, mais aussi de produire une protéine CFTR complète et fonctionnelle. Le bénéfice était double pour les souris traitées : réduction des symptômes et allongement de leur espérance de vie par rapport aux souris malades n’ayant pas reçu de DAP.
Une molécule qui trompe la production de protéines
Mais alors, comment fonctionne le DAP ? Dans toutes les cellules de l’organisme, une machinerie composée de ribosomes et d’ARN de transfert (ARNt) est responsable de « lire » et traduire l’information codée dans les gènes sous forme d’une séquence de nucléotides. les ARNt s’associent à chaque triplet de nucléotides (un « codons ”) un seul acide aminé dont la liaison conduit à la production d’une protéine. « La DAP a la particularité d’induire un mécanisme de translecture qui fait que l’organisme ignore la présence d’une mutation non-sens sur le gène CFTR. Autrement dit, le DAP force les ARNt à faire une erreur de lecture : lorsqu’ils atteignent un codon stop prématuré, ils devraient interrompre la production de la protéine CFTR, mais en présence de DAP, ils continuent à incorporer des acides aminés comme s’il n’y en avait pas. codon stop, qui permet de compléter la synthèse de la protéine CFTR », explique Brice Marcet, chercheur au CNRS et à l’IPMC.
Les auteurs de l’étude ont également montré que la DAP est distribuée efficacement dans de nombreux tissus (musculaire, pulmonaire, cérébral et intestinal). « C’est une caractéristique particulièrement importante que nous avons dû tester puisque, contrairement aux idées reçues, le tissu pulmonaire n’est pas le seul touché par la mucoviscidose. », raconte Fabrice Lejeune. Cela suggère qu’un éventuel médicament contenant cette molécule pourrait atteindre tous les tissus touchés par la maladie génétique, voire, puisque la molécule traverse également la barrière hémato-encéphalique, corriger certaines maladies neurologiques, également liées à des mutations non-sens. C’est le cas par exemple de la myopathie de Duchenne, une maladie neuromusculaire.
La DAP devra passer par deux étapes obligatoires avant d’être proposée à des patients volontaires dans le cadre d’un essai clinique. « Il s’agit, d’une part, de réaliser les tests de toxicité réglementaires pour s’assurer de l’innocuité de la DAP et, d’autre part, de trouver la meilleure formulation, c’est-à-dire de déterminer la concentration idéale de DAP que doit contenir chaque comprimé ainsi que le dosage », explique Brice Marcet. Il faudra donc attendre encore quelques années avant de savoir si la DAP deviendra le principe actif d’un nouveau médicament contre la mucoviscidose.
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